La musique rap, expression de la culture hip hop héritée des Etats-Unis, se présente désormais comme la bannière d’un groupe de jeunes, souvent des banlieues, qui se démarquent de la société dominante de par leur manière de s’habiller, mouvoir, parler, chanter, rimer, etc., en affirmant ainsi leur propre identité culturelle. Dans cette contribution nous nous proposons de réfléchir sur le rapport qui s’instaure entre la musique rap (plus précisément les textes rap, écrits pour être chantés, mieux : rappés) et l’innovation lexicale qu’elle apporte en termes de créativité linguistique, surtout argotique, finalisée à la distinction du groupe, à la construction d’un « we code » en opposition à un « they code » . Ces textes, cette musique, mélangent en effet à la fonction fortement identitaire (« we code »), une fonction cryptique (démarquage par rapport au « they code ») et une fonction ludique s’exprimant à travers une créativité linguistique foisonnante et une forte originalité expressive. De plus – précisément de par les choix lexico-syntactiques dont ils font usage – ils se situent à la limite de plusieurs types de variation : diastratique (en tant qu’expression d’un parler banlieusard), diaphasique (en tant qu’ils privilégient un registre familier, voire populaire et vulgaire) et diatopique (en tant qu’expression mélangeant des éléments linguistiques « migratoires ») . Les textes des chansons que nous avons analysés sont contenus dans Diam’s, Dans ma bulle (15 titres), M.Pokora, Player (11 titres), Sinik, En attendant l’album (13 titres). Sur cette base, nous avons dressé un inventaire des stratégies linguistiques (surtout d’origine argotique) qui – dans leur ensemble – permettent de définir le langage employé comme non conventionnel, créatif et original : troncation (par exemple, ado, bide, came, mic, etc.) ; siglaison (par exemple, BOF, NTM) ; dérivation impropre (par exemple, bouffe, drague, embrouille, tise, etc.) ; redoublement hypocoristique (par exemple, toto, zozo, doudoune, etc.) ; verlan (par exemple, keuf, meuf, en scred, té-ci, etc.) ; composés (par exemple, rentre-dedans, casse-cou, etc.) ; expressions figées (par exemple, foutre en l’air, foutre le camp, peter les plombs, etc.) ; emprunt à plusieurs langues (par exemple, flic, bled, poucave, go, cool, cogite, basta, cramer, etc.), auxquels s’ajoute le recours aux figures de style (il est possible de retrouver les tropes de la métaphore et de la métonymie). Ajoutons qu’il est possible qu’un élément lexical cumule plusieurs stratégies créatives, comme par exemple dans le cas de troquet (aphérèse de mastroque avec l’ajout du suffixe -et) ou bien qu’il présente plusieurs acceptions polysémiques (par exemple, se taper, cool, cramer en montrent plusieurs). Remarquons que les rappeurs font un recours aussi fréquent par rapport à l’économie des textes à ces éléments lexicaux non conventionnels, parce que – comme nous l’avons mentionné – ils leur permettent de jouer avec la langue (fonction ludique), de consolider une identité culturelle et groupale (fonction identitaire) et de rendre la compréhension difficile aux « non initiés » (fonction cryptique), aux personnes qui ne connaissent pas (ou n’apprécient pas) ce langage banlieusard et ce genre musical. En effet, nous avons dû consulter plusieurs dictionnaires d’argot pour déceler le sens et l’origine des éléments lexicaux et des expressions du corpus, car un bon pourcentage n’est présent ni dans le Petit Robert (40% environ) ni dans le TLF (50% environ). 1. Gumperz J., “Conversational codeswitching”, in Gumperz J. (éd.), Discourse strategies, Cambridge University Press, Cambridge,1982, pp. 59-99. 2. Merle P., Argot, verlan et tchatche, Les essentiels Milan, Paris, 2006.
Aspects sociolinguistiques et fonctions rhétoriques du langage rap en France / Preite, Chiara. - STAMPA. - (2014), pp. 153-168.
Aspects sociolinguistiques et fonctions rhétoriques du langage rap en France
PREITE, Chiara
2014
Abstract
La musique rap, expression de la culture hip hop héritée des Etats-Unis, se présente désormais comme la bannière d’un groupe de jeunes, souvent des banlieues, qui se démarquent de la société dominante de par leur manière de s’habiller, mouvoir, parler, chanter, rimer, etc., en affirmant ainsi leur propre identité culturelle. Dans cette contribution nous nous proposons de réfléchir sur le rapport qui s’instaure entre la musique rap (plus précisément les textes rap, écrits pour être chantés, mieux : rappés) et l’innovation lexicale qu’elle apporte en termes de créativité linguistique, surtout argotique, finalisée à la distinction du groupe, à la construction d’un « we code » en opposition à un « they code » . Ces textes, cette musique, mélangent en effet à la fonction fortement identitaire (« we code »), une fonction cryptique (démarquage par rapport au « they code ») et une fonction ludique s’exprimant à travers une créativité linguistique foisonnante et une forte originalité expressive. De plus – précisément de par les choix lexico-syntactiques dont ils font usage – ils se situent à la limite de plusieurs types de variation : diastratique (en tant qu’expression d’un parler banlieusard), diaphasique (en tant qu’ils privilégient un registre familier, voire populaire et vulgaire) et diatopique (en tant qu’expression mélangeant des éléments linguistiques « migratoires ») . Les textes des chansons que nous avons analysés sont contenus dans Diam’s, Dans ma bulle (15 titres), M.Pokora, Player (11 titres), Sinik, En attendant l’album (13 titres). Sur cette base, nous avons dressé un inventaire des stratégies linguistiques (surtout d’origine argotique) qui – dans leur ensemble – permettent de définir le langage employé comme non conventionnel, créatif et original : troncation (par exemple, ado, bide, came, mic, etc.) ; siglaison (par exemple, BOF, NTM) ; dérivation impropre (par exemple, bouffe, drague, embrouille, tise, etc.) ; redoublement hypocoristique (par exemple, toto, zozo, doudoune, etc.) ; verlan (par exemple, keuf, meuf, en scred, té-ci, etc.) ; composés (par exemple, rentre-dedans, casse-cou, etc.) ; expressions figées (par exemple, foutre en l’air, foutre le camp, peter les plombs, etc.) ; emprunt à plusieurs langues (par exemple, flic, bled, poucave, go, cool, cogite, basta, cramer, etc.), auxquels s’ajoute le recours aux figures de style (il est possible de retrouver les tropes de la métaphore et de la métonymie). Ajoutons qu’il est possible qu’un élément lexical cumule plusieurs stratégies créatives, comme par exemple dans le cas de troquet (aphérèse de mastroque avec l’ajout du suffixe -et) ou bien qu’il présente plusieurs acceptions polysémiques (par exemple, se taper, cool, cramer en montrent plusieurs). Remarquons que les rappeurs font un recours aussi fréquent par rapport à l’économie des textes à ces éléments lexicaux non conventionnels, parce que – comme nous l’avons mentionné – ils leur permettent de jouer avec la langue (fonction ludique), de consolider une identité culturelle et groupale (fonction identitaire) et de rendre la compréhension difficile aux « non initiés » (fonction cryptique), aux personnes qui ne connaissent pas (ou n’apprécient pas) ce langage banlieusard et ce genre musical. En effet, nous avons dû consulter plusieurs dictionnaires d’argot pour déceler le sens et l’origine des éléments lexicaux et des expressions du corpus, car un bon pourcentage n’est présent ni dans le Petit Robert (40% environ) ni dans le TLF (50% environ). 1. Gumperz J., “Conversational codeswitching”, in Gumperz J. (éd.), Discourse strategies, Cambridge University Press, Cambridge,1982, pp. 59-99. 2. Merle P., Argot, verlan et tchatche, Les essentiels Milan, Paris, 2006.File | Dimensione | Formato | |
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