« Une musique que l'on regarde » : le ballet comme synesthésie des arts dans les textes de critique théâtrale de Gautier

Dans une hiérarchie hypothétique des arts « muets », ou tout au moins de ceux qui n'ont pas la parole comme véhicule essentiel, la danse occupe certainement la première place aux yeux de Gautier. Elle partage avec le chant et la musique le caractère d'art universel qui, surmontant les limites de la diversité linguistique, parle à tous les hommes sans distinction, s'exprimant par le geste et le mouvement. Elle ajoute à cela le prestige d'une virtuosité technique qui l'apparente aux arts supérieurs de la « difficulté vaincue ».La danse est également – et surtout – la réalisation matérielle d'une beauté idéale qui s'exprime par l'intermédiaire du corps de la danseuse, chez laquelle – Gautier ne se lasse pas de le répéter – un aspect gracieux est une qualité indispensable. Art de la forme par excellence, glorification de la beauté et du corps féminin, la danse apparaît aussi comme l'expression d'un syncrétisme artistique que Gautier évoque au moyen de métaphores synesthétiques très suggestives, qui annoncent les définitions célèbres qu'en donnera Mallarmé quelques décennies plus tard.Reprenant la lecture d'un certain nombre de textes critiques et de chroniques théâtrales de Gautier, nous nous sommes efforcée de cerner et de réunir dans un cadre cohérent les principes qui peuvent faire de la danse, aux yeux de notre auteur, « le plus ravissant poème – celui qu'on n'écrit pas ».