Renouvier: la paix comme libération de l'homme et utopie dans l'histoire

I. Benrubi a observé que le « pacifisme est le couronnement de la morale de Renouvier » ; de fait, les concepts fondamentaux de cette morale (l’idée de devoir moral et de justice, mais aussi la conception de la liberté et de l’histoire) sont intimement liés à l’idée de paix, qui constitue ainsi un motif constant de la pensée de Renouvier, un fil directeur qui traverse ses différentes périodes – du néocriticisme au personnalisme –, et qui, dans le pluralisme et le volontarisme qui la soutient, contribue à en faire ressortir la continuité . L’examen critique de la connaissance, ainsi que l’affirmation des ressources de la raison individuelle, ont d’ailleurs toujours été associés chez Renouvier à un projet moral et politique de grande ampleur ; la catégorie de la relation, centrale dans un modèle gnoséologique qui souhaite démystifier les idoles de la métaphysique en substituant le relatif à l’absolu, joue un rôle non moins significatif dans le domaine éthique, où la soumission à un principe d’autorité par trop dogmatique doit céder la place à un accord fondé sur l’autonomie et sur le respect réciproque des individus. Dans la mesure où la complexité du thème rend impossible un parcours exhaustif, on s'arrête ici sur deux points centraux de la réflexion entreprise par Renouvier sur la paix. Dans un premier temps, qui a pour objet l’une des œuvres les plus importantes de toute sa production philosophique – la Science de la morale (1869) –, on voit comment le thème de la paix prend la forme d’un idéal de libération de l’homme par rapport à des contraintes internes et externes ; dans une seconde partie, on accompagne alors la tentative qui consiste à concrétiser l’idéal en inscrivant l’utopie de la paix dans l’histoire.On a pu faire observer qu’« Uchronie nous rend à l’évidence d’une liberté susceptible d’être prouvée directement dans l’histoire réelle » : en effet, si même un récit fictif, dont le narrateur peut tirer les fils à sa guise et en nouer la trame avec rigueur, laisse apparaître des fractures et des contradictions, à plus forte raison il sera impossible d’attribuer à l’histoire réelle – où s’entremêlent tant de volontés individuelles et collectives, tant de circonstances imprévisibles – une nécessité assez forte pour ne tolérer aucune déviation. On pourrait cependant ajouter que l’espace de la fiction nous suggère un élément de plus : l’effort d’imagination, la créativité qui sert à rompre avec les tracés répétitifs de l’histoire et à donner naissance, avec la paix, au temps de l’uchronie.